Ne devons-nous pas diriger autrement ?

16 avril 2020

Orchestre | maestro

Dans un environnement qui se complexifie à grande vitesse, il est urgent de remettre l’Homme au cœur du système ; telle est la certitude du Général d’armée Pierre de Villiers, fin observateur de notre monde contemporain et de ses fractures. Ses expériences de l’autorité et du management opérationnel aux plus hauts niveaux de l’institution militaire et de l’Etat et ses multiples rencontres ont forgé de profondes convictions qu’il a accepté de partager.
Face aux changements qui s’opèrent, le facteur humain incarne le succès, faut-il pour autant diriger différemment ? Pierre de Villiers a répondu à notre interrogation avec méthode en débutant par une analyse des nouveaux facteurs de pression sur les dirigeants.

Les nouveaux facteurs de pression sur les dirigeants

Un monde sous tension

L’inquiétude sécuritaire, les difficultés économiques et sociales, la crise de l’autorité, le raccourcissement du temps, la digitalisation et la mondialisation sont autant de contraintes qui pèsent sur tous les responsables. Nous évoluons en effet dans un monde sous tension dans lequel on identifie 2 lignes de conflictualité majeures : le terrorisme islamiste radical conjugué au retour des états puissances qui s’expriment notamment en Mer de Chine, au Levant, en Afrique du Nord (printemps arabes) ou encore à l’Est de l’Europe avec l’Ukraine.
Il convient d’y ajouter les migrations incontrôlées qui auront un effet déstructurant pour les années à venir ou encore le climat géostratégique actuel qui inquiète les citoyens, perturbe les entreprises dans leur rayonnement international et mobilise les responsables politiques.

Le temps presse, le temps stresse

Nous assistons à un raccourcissement du temps, le temps presse. Notre société du « zapping » se déshumanise, nous n’avons plus le temps d’échanger avec les autres et sommes animés par l’obsession de la satisfaction immédiate. Dans les entreprises, l’accélération de cette « chasse au temps » empêche toute réflexion et privilégie la tactique au détriment de la stratégie. Le temps n’est plus un moyen mais une fin. Le temps court l’emporte systématiquement sur le temps long alors même que pour avoir une vision de long terme et la traduire en plan stratégique, il faut prendre le temps de la réflexion.

Le technologisme s’étend

La vie se digitalise, ce qui représente à la fois un progrès considérable mais aussi un risque d’exclusion notamment pour les générations plus anciennes. L’intelligence artificielle propose un monde entièrement robotisé sans intervention humaine. Si la science n’est pas mauvaise en soi, c’est l’utilisation qu’on en fait qui peut l’être. J’ai coutume de dire, on ne discute pas son époque mais on la façonne, on la maîtrise, on la canalise.

La crise de l’autorité : le pouvoir s’éloigne

Il est incontestable que nous traversons une crise sociale de l’autorité. Elle accroît la pression sur chacun d’entre nous et plus singulièrement sur les dirigeants qui exercent une responsabilité dans la Cité. Il convient d’y remédier rapidement car elle a de profondes conséquences.

L’individualisme se renforce

Ce dernier facteur de pression sur nos dirigeants, sans doute le plus sociétal d’entre eux, est la résultante des autres. En effet, sur toutes les strates de la société, « le tout à l’égo » semble dominer. Nous évoluons dans un pays dans lequel nous avons oublié que le vrai bonheur est la fraternité. Nous avons perdu nos racines mais avons trouvé les écrans qui nous éloignent toujours un peu plus. Nous sommes entrés dans une forme de « mondialisation de l’indifférence ». Il nous faut retrouver le sens du collectif, simplement car lui seul sauvera l’individu.

 

Pour lutter contre ces facteurs de pression, Pierre de Villiers propose quatre idées essentielles qu’il nomme les clés de l’adhésion.

Les clés de l’adhésion

La confiance se gagne

La confiance est le premier carburant de l’autorité. Elle seule permet la délégation, la responsabilisation, l’innovation et l’initiative. Elle seule autorise « l’obéissance d’amitié » là où l’adhésion l’emporte sur la contrainte. On obéit à son chef car on a de l’estime pour lui. C’est la source de l’engagement et le préalable à l’efficacité, à la performance et à la motivation.

L’autorité

Elle n’est ni la dureté froide ni la mollesse tiède. Elle évite la raideur et la démagogie. Rappelons que son étymologie latine « autoritas » veut dire élevé vers, faire grandir. Elle repose sur deux piliers indissociables : l’humanité qui nourrit et la fermeté qui ordonne. Elle doit reposer sur 4 étapes, les 4 C :

  • Concevoir un projet, donner une vision, fixer le cap est le préalable indispensable pour motiver les femmes et les hommes.
  • Convaincre pour vaincre. C’est sans doute l’étape la moins respectée de nos jours mais la plus importante dans l’armée compte tenu de la prise de risque qui va jusqu’au sacrifice de sa vie dans les combats. Cela impose de prendre du temps pour expliquer, s’assurer que son interlocuteur écoute, comprenne afin qu’il adhère et s’approprie le projet.
  • Conduire requiert le plus d’énergie car il s’agit de gérer les aléas sans pour autant changer de cap. Cela signifie aussi, bien se conduire.
  • Contrôler que les objectifs sont bien atteints et corriger les insuffisances.
 
La stratégie

Nous sommes parfois surpris par l’absence de stratégie dans les décisions prises par manque de vision. L’agenda pilote trop souvent le quotidien et il est temps de retrouver le temps stratégique.

Le leadership

Le chef doit incarner une voix et fixer la voie. L’enthousiasme et l’optimisme sont pour cela essentiels comme le sont l’humilité et l’humour, « Un chef triste est souvent un triste chef ». Mais surtout la qualité majeure du chef est l’ouverture aux autres car elle permet de faire du dirigeant un homme de responsabilité et non un homme de pouvoir. Elle engendre la bienveillance et conduit à la réconciliation, terreau de la vraie performance durable.

 

Fort de ces constats et de sa longue expérience à la fois militaire et civile, Pierre de Villiers émet quelques recommandations permettant de passer du statut de manager à la dimension de leader.

Les solutions concrètes

Un chef doit avant tout être exemplaire.

Pour donner le ton, le chef doit être crédible.  Tout dirigeant doit être en capacité physique de prendre les bonnes décisions.

L’intelligence

Trop d’intelligence nuit parfois à l’intelligence. Il est important de nourrir la diversité dans son entourage. La vision relève souvent du bon sens.

Le cœur

Quand on est dirigeant, il convient de convaincre, entrainer, motiver. L’intelligence et la détermination ne suffisent pas. Il faut être capable de donner du sens à l’action, de mettre de la passion, de la loyauté et de la générosité pour convaincre les Hommes.

Le devoir de s’assoir

Il est indispensable de savoir se retrouver seul avec soi-même quelles que soient ses convictions, ses méthodes… Les entreprises disposent de plus en plus d’endroits dédiés à cette méditation propre à chacun qui lui permet d’élever son esprit, nourrir son âme et voir plus loin.

 

Ces quatre dimensions sont indissociables selon Pierre de Villiers qui rappelle que le chef est un homme d’équilibre. Or, l’équilibre n’est pas une qualité mais bien l’état qui lui offre la stabilité nécessaire à son rôle de décideur quelle que soit la pression qui s’exerce sur lui. Pour y contribuer, il estime que le dirigeant doit penser en homme d’action et agir en homme de pensée. La proximité avec le terrain, la considération des plus faibles y contribuent ainsi que la gestion personnelle de son agenda.
C’est enfin sur 3 mots clés que Pierre de Villiers choisit d’insister pour inciter les femmes et les hommes à diriger différemment dans un monde contemporain dans lequel les jeunes sont en quête de valeurs, de sincérité, de fraternité mais aussi de considération, de vérité et de loyauté.

Trois conseils pour diriger différemment et restaurer un esprit d’équipe

L’humanité

Il convient de remettre l’humain au cœur des préoccupations. Il faut retrouver l’intelligence du cœur, la générosité qui est bien présente dans notre société et qui ne demande qu’à s’épanouir. Rien ne justifie de cautionner la déshumanisation à laquelle nous assistons et qui fait que les jeunes sont parfois en manque de repère. Ils doivent savoir que chacun d’entre nous est responsable de son propre parcours et qu’il est bien de réussir dans la vie mais qu’il est mieux de réussir sa vie.

L’unité

Nous évoluons dans un monde éminemment fracturé. Nous avons oublié le pardon qui est l’une des racines de notre civilisation. La polémique se substitue souvent à la bienveillance, nous avons oublié la compassion. Il convient désormais de tirer un trait d’union entre les générations, de prôner la réconciliation et de mettre tous ses talents au service de l’unité simplement parce que le collectif prime sur l’individu.

L’espérance

Nous vivons dans un grand pays dont le génie est reconnu à l’extérieur mais parfois méconnu à l’intérieur. Je suggère de retrouver notre fierté, nos talents sont multiples, notre histoire est grande, notre géographie est attractive.
Retrouvons notre espérance dans le prolongement de l’affirmation de Bernanos qui disait de l’espérance qu’elle n’est pas un optimisme mais « un désespoir surmonté ».

 

Pour approfondir, nous vous invitons à découvrir l’essai du Général d’Armée Pierre de Villiers « Qu’est-ce qu’un chef ?» paru en novembre 2018 aux éditions Fayard

16 avril 2020

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