À quel point le marché du travail américain est-il tendu?
Les chiffres de l’emploi non agricole, supérieurs aux attentes du consensus, ont suscité l'enthousiasme des marchés à la fin de la semaine dernière et contrastent avec les signaux envoyés par les enquêtes PMI (Purchasing Managers Index) et l'augmentation du nombre de chômeurs enregistré dans l'enquête auprès des ménages. Mais le diable se cache dans les détails... En résumé, le nombre d'offres d'emploi dépassant le nombre de chômeurs dans plusieurs secteurs et exerçant à son tour une pression sur les salaires, l'économie américaine ne peut plus nier les pressions inflationnistes malgré le ralentissement de l'activité en janvier, induit par Omicron.
Situation actuelle : pourquoi tant d'excitation ?
La bonne nouvelle : les créations d'emplois sont plus importantes que prévu aux États-Unis, le nombre total d’emplois non agricoles ayant augmenté de 467 000 en janvier 2022 (contre 150 000 prévus par le consensus) selon les données de l'enquête auprès des entreprises provenant du rapport sur l'emploi. La croissance de l'emploi s'est poursuivie dans le secteur des loisirs et de l'hôtellerie (+151 000), en particulier dans la restauration et les débits de boissons (+108 000) et, dans une moindre mesure, dans le secteur de l'hébergement (+23 000). Par rapport aux niveaux d'avant-crise, l'emploi est toujours en baisse de 10% dans le secteur des loisirs et de l'hôtellerie, de -4% dans l'enseignement public et de -2% dans les secteurs de la santé et du commerce de gros. Il a toutefois dépassé les niveaux d'avant-crise dans les secteurs du transport, du stockage et du commerce de détail.
La deuxième partie du rapport sur l'emploi – l'enquête auprès des ménages - est moins optimiste et est affectée par d'importants ajustements démographiques qui peuvent rendre plus difficile la lecture des chiffres de janvier 2022 comparés à ceux de décembre 2021. Néanmoins, nous pouvons constater que le nombre de chômeurs a légèrement augmenté en janvier 2022 (+ 194 000) pour atteindre 6,5 millions, un nombre qui est toutefois inférieur de 36% à celui de janvier 2021. Le taux de chômage a augmenté de 0,1 point de pourcentage pour atteindre 4%. Un facteur encourageant est la diminution significative du nombre de chômeurs de longue durée (de 32% en décembre 2021 à 26% en janvier 2022). Le taux de participation de la population active semble lent à se redresser, à 62,2% (contre 63,4% en février 2020).
Les analystes restent perplexes face à l'écart entre le nombre d’offres d'emploi et celui des demandeurs d'emploi. Les offres d'emploi s’élevaient à près de 11 millions dans l'enquête JOLTS (Job Openings and Labor Turnover Survey) de décembre 2021, soit plus de 4,5 millions de plus que le niveau de chômage total. L'inadéquation des compétences est une explication, notamment pour les emplois dans la santé et l'éducation (cf. graphique 1). Le nombre de personnes qui s’installent à leur compte en est une autre car l’entrepreneuriat américain a atteint des sommets, même s'il semble perdre de son élan (les demandes de création d'entreprise ont chuté de 3% sur une base mensuelle en décembre 2021). Enfin, les généreuses allocations chômage liées à la pandémie de COVID-19 ont permis à certains travailleurs de ne pas avoir à chercher d'emploi, mais la majeure partie d'entre elles ont pris fin au T4-2021. En somme, il n'y a pas de solution rapide pour créer un grand mouvement de retour vers le travail, du moins pas sans une évolution des salaires ou la mise en place de formations pour répondre aux besoins de l'offre.
Dans ce contexte, le salaire horaire moyen des employés a augmenté de 5,7% sur une base annuelle en janvier 2022 (soit le taux le plus élevé depuis 15 ans) et de 0,7% au cours du mois dernier. Sans surprise, les plus fortes hausses ont été enregistrées dans les secteurs présentant les écarts les plus importants entre le nombre d’offres d'emploi et celui des chômeurs, à savoir le commerce de détail (+15% sur un an) et les loisirs et l'hôtellerie (+13%), tandis que les secteurs de la santé et de l'éducation ont connu une augmentation conforme à la moyenne générale (+6%) malgré le besoin urgent de travailleurs.
Coup de projecteur sur la fed pendant que l’inflation accélère
Ces données sur l'emploi sont d'autant plus importantes que le ciblage de l'inflation moyenne de la Fed vise à permettre à l'inflation de dépasser l'objectif (à 2%) dans l'intérêt de l’atteinte du plein emploi. Le marché du travail étant suffisamment «sain» pour exercer une pression sur les salaires, l'économie américaine n'est plus à l'abri d'une hausse des prix appelant une réaction de la Fed.
L'inflation de janvier est publiée le 10 février. En décembre, le taux d'inflation américain était de 7% en glissement annuel et le consensus s'attend à ce que ce chiffre passe à 7,3% en janvier. Si l'on exclut les prix très volatils de l'énergie et de l'alimentation, l'inflation de base était de 5,5% et le consensus du marché s'attend à 5,9% en janvier. Les éléments à surveiller – qui pourraient potentiellement relancer l'inflation – sont les prix des voitures neuves et d'occasion (qui ont augmenté de 12% et 37% en glissement annuel en décembre) ainsi que le prix des logements (en hausse de 4% en décembre, au plus haut niveau depuis 2007).
Graphique 1 : le nombre d'offres d'emploi dépasse celui des chômeurs dans plusieurs secteurs (en milliers)
Sources: U.S. Bureau of Labor Statistics, Indosuez Wealth Management
10 février 2022