Foggy Bottom*
Dans l’épais brouillard entourant les effets potentiels de la crise sur le plan sanitaire et économique, nous faisons le point sur les récentes données recueillies en Chine et aux États-Unis.
L’économie chinoise devrait avoir touché le fond au premier trimestre de cette année, et au deuxième trimestre pour la plupart des économies occidentales matures. Cela était prévisible compte tenu des mesures de confinement prises au niveau de chaque pays. Toutefois le chemin reste pavé d’incertitude quant à la vigueur relative du secteur manufacturier par rapport à celui des services, et au rythme de la reprise.
Les données chinoises des périodes précédentes suggéraient un rebondissement assez rapide de l'activité du secteur manufacturier, ce qui a conduit à la perception générale que le secteur chinois des services mettrait plus de temps à se rétablir. Cependant, en Chine, l'indice PMI des services est passé à 55 en mai, d'un niveau bas de 26,5 en février, tandis que l'indice PMI du secteur manufacturier a connu une hausse plus timide, passant de 40,3 en février à 50,7 en mai. Il est certain que la progression plus importante du secteur des services pour cet indicateur reflète en partie la gravité du déclin antérieur, mais il n'en reste pas moins que ce secteur semble désormais plus porteur que celui de l'industrie manufacturière. En outre, nous constatons que la production industrielle chinoise a moins augmenté en mai que les attentes du marché (4,4% en glissement annuel et 5,0% sur la même base respectivement) et que les ventes au détail ont davantage diminué (-2,8% et -2,3% en glissement annuel respectivement). En Chine les données commerciales pour le mois de mai ont montré une baisse des exportations plus faible que généralement escompté (-3,3% en glissement annuel contre -6,5% selon le consensus). Toutefois, les importations ont chuté de 16,7% par rapport aux attentes du marché, qui tablaient sur une baisse de 7,9%. Une partie de ce déclin prononcé est évidemment due à la baisse du prix du pétrole. Dans l’ensemble, ces données indiquent une reprise davantage en forme de crosse de hockey qu’en forme en V que beaucoup espéraient.
Aux États-Unis, en revanche, c'est plutôt l’inverse qui a été révélé dans les derniers chiffres publiés, les ventes au détail ayant spectaculairement dépassé les attentes en mai, avec une hausse de 17,7% sur le mois, contre un gain prévu de 8,4%. Les commandes de biens durables pour le mois d'avril ont également largement dépassé les attentes, chutant de 5,8% par rapport à mars au lieu des -10,0% prévus (hors défense, avions et pièces détachées). Les livraisons de ces biens d'équipement a fait encore mieux que prévu, diminuant de 5,4% sur le mois, contre une baisse de 12,2% selon les prévisions du consensus. De plus, les revenus ont connu une reprise surprenante en avril, augmentant de 10,5% en glissement mensuel alors qu'une baisse de 5,9% était prévue. Quant aux PMI, l’équivalent manufacturier du Markit s'élève à 39,8 en mai, ce qui est par conséquent plus élevé que le PMI des services à 37,5, bien que les mesures équivalentes de l'ISM enregistrent 43,1 pour le secteur manufacturier et 45,4 pour celui des services. Cette divergence pourrait s'expliquer par l'orientation de l'ISM en faveur des grandes entreprises. Les exportations américaines ont chuté de 20,5% en avril - la plus forte baisse jamais enregistrée, et cela vaut également pour les importations qui ont diminué de près de 14%. En avril, l'excédent de la balance des services a été le plus faible depuis décembre 2016, en raison de l'arrêt des secteurs des voyages et du transport, et l'excédent pétrolier a été le plus élevé jamais enregistré. Il est intéressant de noter que les exportations vers la Chine et les importations en provenance de ce pays ont augmenté, mais que ces dernières ont davantage augmenté, creusant ainsi le déficit commercial bilatéral.
Dans l'ensemble, en Chine, le secteur des services a surpris à la hausse, tandis qu'aux États-Unis, ce sont plutôt les chiffres du secteur manufacturier qui se sont renforcés plus que prévu. En outre, l’ampleur de la surprise a été plus importante aux États-Unis qu'en Chine, ce qui suggère une forme de V outre Atlantique par rapport à la Chine. Cette observation est prise en compte dans l'indice de surprises économiques de Citi comme le montre le graphique ci-dessous.
La conclusion est donc que l’on pourrait s’attendre à des surprises positives dans les prochains chiffres du PIB américain. La troisième et dernière estimation concernant le premier trimestre de cette année sera publiée le 25 juin. Dans la deuxième estimation, le PIB s'est contracté de 5% en glissement trimestriel annualisé (glissement trimestriel multiplié par 4). Le PIB du deuxième trimestre sera très certainement bien pire, mais il est possible que nos plus grandes craintes ne se matérialisent pas, même s’il faudra attendre le 30 juillet pour la publication de la première estimation. Le consensus s'attend à un recul annualisé de 35% en glissement trimestriel au deuxième trimestre, soit la médiane des prévisions qui se situent entre -7,5% et -67% (respectivement -1,9% et -16,8% en glissement trimestriel).
*Foggy Bottom est un quartier de Washington DC situé le long de la rivière Potomac et qui tire son nom du brouillard qui y persiste naturellement.
18 juin 2020