Le retour de la valeur temps
Monthly House View - Décembre 2022 - Télécharger ici
Dans le grand bouleversement du cadre d’investissement qui s’est mis en place depuis l’introduction des taux négatifs, les investisseurs avaient le sentiment d’avoir perdu le nord, le repère de base de toute mesure. À juste titre : comment apprécier la valeur et le rendement des actifs financiers quand on doit les comparer à un actif sans risque à taux nul ou négatif ? Le fait d’avoir des taux négatifs sur des actifs à dix ans et un taux nul sur les dépôts était tout aussi perturbant.
La sortie brutale de ce cadre s’accompagne d’une transition vers un ordre financier plus normal. Une manifestation de ce retour à la normale réside dans le retour de la valeur du temps, qui demeure la base de tout placement obligataire ou de toute relation de prêt. Comment justifie-t-on d’ailleurs en théorie macroéconomique l’existence d’un rendement attaché à un prêt ou à un placement ? La préférence pour le présent, c’est à dire la capacité à consommer maintenant plutôt que plus tard (l’épargne est une consommation différée, et le taux d’intérêt est en quelque sorte le prix du sacrifice d’une jouissance immédiate).
Il est donc très sain que les dépôts et placements obligataires soient à nouveau rémunérateurs. D’une part car cela contribuera peut-être à réduire la consommation et l’investissement et à diminuer les pressions inflationnistes. D’autre part parce que cela réintroduit des arbitrages plus sains entre consommation et épargne, mais aussi entre classes d’actifs.
Même si le retour de cette valeur temps reste encore incomplet (en attestent les courbes de taux inversées dans cette phase d’ajustement monétaire et de ralentissement), il marque une relation plus équilibrée entre les épargnants et les emprunteurs, et redonne du sens à l’épargne… à condition toutefois de battre une inflation plus persistante qu’attendu, même si elle commence à montrer des signes de stabilisation en Europe ou de lente décrue outre-Atlantique. D’où une focalisation accrue sur le rendement de toutes les classes d’actifs, en mettant de côté des espérances de hausse des indices.
Si le temps retrouve de la valeur, alors les investisseurs ont moins besoin de sacrifier la liquidité ou la qualité des portefeuilles pour trouver du rendement. L’autre implication de ce bouleversement c’est la mort de TINA (le fameux « there is no alternative » i.e. il n’y a pas d’alternative aux actions) que nous avions annoncée il y a quelques mois déjà. D’une part parce que la remontée des taux pèse depuis un an sur la valeur présente des cash flow futurs (autre signe du retour de la valeur temps). D’autre part parce que le retour du rendement obligataire peut ramener le poids des actions à sa juste valeur dans un portefeuille. En effet le rendement est très proche du ratio résultat net/cours de bourse des actions américaines. Il faut donc davantage justifier de perspectives de croissance attractives et/ou d’un dividende élevé et en croissance (ou bien une correction plus importante des valorisations) pour justifier une pondération importante des actions aux côtés d’obligations d’entreprises de qualité déjà rémunératrices.
C’est probablement le retour en 2023 du portefeuille « 60/40 » dont on avait annoncé un peu prématurément la fin définitive et durable. Le début de 2023 devrait donc marquer le retour des obligations dans les portefeuilles. Avant qu’une amélioration des résultats et un probable adoucissement des politiques monétaires viennent relancer durablement le marché actions sur la deuxième partie de l’année 2023. Et comme les marchés n’attendront pas la confirmation de la Réserve fédérale américaine (Fed) pour en juger, tout signe de décrue de l’inflation devrait se traduire par un rebond des marchés actions. C’est l’avenir qui nous dira si la hausse des marchés qui a suivi l’inflation d’octobre était justifiée mais à notre sens il est encore tôt pour parier sur un tournant de la Fed dès cette fin d’année.
Monthly House View, paru le 18/11/2022 – Extrait de l'Editorial
25 novembre 2022